Rencontre avec Marie-Rose de Marseille

mardi 25 novembre 2008, par Leonor

« Oh, ma bonne mère ! Je les ai mouchés, comme on dit chez nous à Marseille. »

Marie-Rose a 82 ans. Je l’ai su puisqu’elle m’a demandé mon âge :
« 36 ? Ah non, tu ne les fais pas. Tu n’as même pas les traits tirés. Et moi, quel âge tu me donnes ? Allez, franche, n’aies pas peur.

  • 75… 72 ?
  • Oh, bonne mère ! Accroche-toi, 82 ! Je suis née en 25. »

Marie-Rose est brune. Un brun noir comme le charbon. Teinte. Des traits fins, pas très grande et mince. Elle gesticule, parle, a gardé son accent marseillais. Je l’ai rencontrée en me promenant dans le quartier ouvrier.
C’est une petite maison, la dernière de toute une enfilade de maisons en briques du début du siècle. Numéro 28 de la rue La Petite Vitesse. Elle est à la porte de chez elle.

« - Bonsoir.

  • Bonsoir. Alors, tu te promènes ?
  • Je regarde les maisons.
  • Ah, bon. Tu n’es pas d’ici ?
  • Non, je suis espagnole.
  • Oh, j’ai toujours aimé les espagnols. Des gens bien éduqués, travailleurs. Allez entre chez moi qu’on parle un peu… »

L’Indochine, un mari militaire, haut placé comme elle dit. Les colonies, l’Afrique du Sud…

« Oh, j’ai vu du pays ! Là-bas je disais bonjour à tout le monde. Les autres, les blancs, ils n’embrassaient pas les noirs, moi si. Un jour, j’en ai mouché un. Je lui ai dit : « L’argent tu le prends. Est-ce que tu le laves à l’eau de Javel . Alors, moi j’embrasse tout le monde. […] Moi je voulais me marier avec un officier haut placé, et je l’ai eu, mon officier. Il était beau, beaucoup plus grand que moi. Il est mort. En 2001. Il a fait toutes les guerres. C’est l’Indochine qui l’a tué. Là-bas, il y a avait plein de marécages et ils ne leur donnaient pas de bottes en cuir, non, mais des bottes en toiles. Les pauvres perdaient leurs doigts de pieds un par un et ça pourrissait. Il y en a plein qui sont morts de ça. Le mien il a fait une belle carrière. Il était haut placé, officier. Professeur à l’armée. De Marseille, je viens de Marseille. Et toi ? Ah, oui ! Et ça ne te manque pas ? »

Marie-Rose fume et boit de la Suze. Elle dit que c’est naturel, à base d’herbes. Elle me parle de son seul enfant, militaire aussi. Elle n’a plus de nouvelle de lui. Apparemment elle s’est fâchée avec sa belle-fille et depuis, plus rien. Puis nous parlons de la vie :

« Oh moi je vis au jour le jour. Et quand je ne pourrais plus être là, on m’emmènera dans une maison de retraite. Puis fini… C’est ça la vie… »

Mais elle n’est pas triste Marie-Rose. Elle est belle, pleine de vie, de mots, d’histoires d’ailleurs. Elle rit, me raconte sa vie, sa solitude. Mais elle ne pleure pas. Elle répète les mots, me raconte au moins trois fois comment elle a connu son mari l’officier :

« C’était dans la rue. Sur la Canebière. Tu connais ? C’est la rue principale à Marseille. Il devait embarquer pour l’Indochine. Avec un ami, ils cherchaient des demoiselles pour être leur marraines. Il m’arrête et me demande si je veux bien être la sienne. Moi j’ai dit oui. On s’est écrit pendant longtemps. Et un jour, une copine vient me voir et me dit : « Eh Marie-Rose, j’ai reçu une lettre recommandée pour toi de l’Indochine. C’était lui. Il me demandait en mariage. Le cono, comme il était timide, il n’avait pas osé me l’envoyer à moi. »

Je bois un Suze et fume une cigarette avec elle. Je voudrais avoir une caméra avec moi pour garder cet instant magique.

« Je suis directe, franche. Si tu ne m’aimes pas, tu dégages. On se comprend ? »

Je lui ai promis de lui envoyer une affiche du spectacle.

« Tu es artiste. Tu es quelqu’un alors ? »

Avant de partir elle me montre une photo d’elle à 20 ans, dans une rue de Marseille. Elle porte une robe noire sans bretelles, on voit ses épaules nues, des petits gants, des chaussures à talons. Elle est belle et fière ! « Et tu vois, je n’avais même pas de soutien-gorge ! »


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