JOURNAL DE CONFINEMENT À LA MAISON (1)

mercredi 25 mars 2020, par Leonor

S’arrêter et regarder ; rester là, immobile, docile…

Alors, je m’arrête, j’accepte de lâcher quelque chose en moi qui me pousse à vouloir remplir à tout prix ce temps de confinement, je n’essaie pas de simuler, de vouloir répéter mon ancienne vie au sein de mes quatre murs. J’accepte les différents états qui me traversent et qui me font aller de la joie à la tristesse, de la mélancolie à la colère. Je lâche, je m’abandonne, enfin j’essaie de m’abandonner à ce temps qui coule m’invitant à ouvrir les pupilles.

Les minutes glissent entre mes doigts pendant que je me lave les mains, les heures deviennent palpables, le temps s’éternise… Je m’assoie. Je regarde, je regarde ma maison et ses objets, ces « Madeleines de Proust » qui sont des morceaux de moi :

Cadre noir, petit tableau sur l’étagère du salon. Son visage angulaire mais paisible me tient compagnie, Virginia Wolf. Un oiseau orange la regarde, si tu mets de l’eau à l’intérieur de son petit corps et que tu souffles tu peux chanter comme lui. Pas loin, un Play mobil, assis, il a appartenu à mes filles. Dans une boîte en carton, je garde quelques reliques de leurs premières années de vie, un jour quand elles auront à leur tour des enfants je leur donnerai la boîte avec ces petits trésors. Souvenir d’un autre temps… La petite boîte verte possède dans son intérieur des boules chinoises… C’est Luz, ma plus jeune fille, qui me l’avait offertes pour le Noël 2019. Elles sont toujours restées là, au calme, mais c’est peut-être le moment de les reprendre.

Albatros, c’est le nom de l’objet étrange qui est juste à côté de la petite boite verte. C’est un objet magique qui bouge comme les ailes d’un Albatros quand tu fais tourner la manivelle.
C’est Christophe, un ami marionnettiste et bricoleur de rêves qui l’avait construit pour mes 40 ans.
Des ailes pour m’envoler ?

Derrière l’Albatros, le maître, Jacques Lecoq, lui aussi il m’a donné des ailes, mais avec sa grammaire, la dynamique du mouvement. Le livre qui est sur l’étagère a été écrit par son fils Patrice : « Un point fixe en mouvement » pour rendre hommage à son père et à son voyage.

Les filles de la carte postale sont italiennes, elles prennent le soleil et leur dos s’appuie doucement sur le livre de Lecoq : « …détendues, lascives, inspirées… » (Alexandra).

Sur la boîte orange un petit poisson orange aussi : « La terre est bleu comme une orange » Paul Éluard puis un des personnages de BarBaPaPa . Vous vous souvenez ? Dans la famille de BarBaPaPa…

Virginia qu’est-ce que tu aurais à nous dire si tu étais ici, avec nous ?
Virginia !

Elle fait partie de ma vie depuis que j’ai lu son livre : Une chambre à soi, elle m’a aidée à comprendre que le chemin vers l’émancipation de la femme est encore long. Que nous devons trouver un espace « à soi » pour nous replier, nous sentir en sécurité, que nous devons conquérir notre autonomie économique pour ne pas dépendre de personne, mais plus encore, que nous devons aller à la reconquête de notre conscience enfouie.

« Tout cela, il faut que vous l’exploriez, tenant fermement votre torche à la main. Mais, avant tout, il vous faut éclairer votre propre âme, ses profondeurs et ses bas-fonds, ses vanités et ses générosités, dire ce que signifie à vos yeux votre beauté ou votre laideur, quels sont vos rapports avec le monde mouvant… »

Éclairer votre propre âme !

Saurons-nous voir les lumières étincelantes de tous ces possibles qui restent à construire ?

Je m’assoie, je prends le livre de Jacques Lecoq entre mes mains, j’ouvre une page au hasard et je lis :

« Au cours de la consultation des archives, j’ai trouvé des pages sur lesquelles mon père à retranscrit minutieusement son « chemin de Compostelle » en quatre-vingt-douze jours du 6 mars au 5 juin 1986. Sachant que Lecoq, dans le dernier tiers de sa vie n’était plus un marcheur au long cours. Cette révélation me laisse perplexe. J’interroge mon frère François : « A-t-il vraiment fait ce chemin ? » « Eh bien oui…mais sans bouger de chez lui ! ». En effet, il devait perdre un peu de poids et suivre un régime. Il eut l’idée, pour obéir à la faculté, de parcourir scrupuleusement sur une carte chaque étape du chemin de Compostelle en notant chaque jour sur un carnet des villes et la distance parcourue. C’était le fil conducteur pour maintenir le cap de son régime.
Même dans l’immobilité, Lecoq était en mouvement. Point fixe sans doute, mais la tête voyageait dans toutes les directions.
Alors que je lui demandais un jour s’il allait voir le feu d’artifice, il me répondit :

« Je n’ai pas besoin de le voir, j’en ai plein en moi ! » (Patrick Lecoq/ « Un point fixe en mouvement »/ Actes Sud)

Je me lève et je vais vers la fenêtre : dehors il fait gris, aujourd’hui le soleil n’est plus avec nous…
Je ferme les yeux et je me vois enfant dans la place du village, mon père tient ma main, dans le ciel noir de la nuit les feux d’artifices éclatent sous nos yeux…


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