L’hôpital gériatrique de Port Louis et Riantec nous a sollicité fin 2008 pour mettre en œuvre un projet théâtral autour de la thématique « L’humanité dans un corps vieillissant ». Afin de répondre à cette demande, je me suis entourée de créateurs issus de différentes disciplines du spectacle vivant et des arts plastiques, cherchant ensemble à donner forme à une écriture scénique qui se nourrisse des apports de chacun, de la collecte de paroles, de sons et d’images. Le résultat de cette immersion s’incarne dans le premier jet d’une écriture théâtrale où la parole des comédiens et leur regard sur la vieillesse font écho aux paroles des anciens et au monde de l’inconscient et du non-dit. L’expérience a été forte et la confrontation avec le public riche en émotion. Ce concentré de vie et d’expérience nouvelle ont provoqué le désir d’emmener encore plus loin cette première ébauche d’histoire, d’écriture, de mise en espace pour créer le nouveau spectacle de la Compagnie A Petit Pas, Je rentre à la maison.
Le projet nous a permis de prendre ce temps, celui de la rencontre, sans autre artifice que d’être présent dans ces murs parmi tous ceux qu’ils protègent, qu’ils enferment. Présence maladroite au commencement du séjour, où le silence, la lenteur exacerbait notre jeunesse, nous parlions trop, nous gesticulions trop, jusqu’au moment où nous avons saisi qu’il n’y avait rien d’autre à faire que d’être « là », de s’asseoir, de permettre le regard, le toucher, la parole… De faire naître des émotions…
Qu’est-ce qu’il reste quand il ne reste plus rien ?
Cette question a hanté mon esprit depuis ce jour, comme une évidence.
L’individu à la fin de sa vie, quand il n’a plus rien (pas de maison, de travail, de corps qui puisse prouver… parfois même, pas d’argent) il lui reste encore quelque chose de plus précieux : son humanité. Cette humanité incarnée dans les lignes de sa main, dans le contour de son visage, dans les tremblements de ses paupières, dans le pas maladroit, cette humanité aveuglante de monstruosité et de beauté s’est manifestée dans ces moments de rencontre, d’intimité.
Je rentre à la maison ne raconte pas une histoire, il dévide des bribes de souvenirs, des bribes d’oubli, une somme de fragments qui, au bout d’une vie, la résume… Une promenade douce-amère !
Des histoires, il y en a plein là-bas. Des histoires qui sentent la naphtaline, qui nous racontent les rêves de tous ces hommes, de toutes ces femmes qui ont construit notre passé, notre identité (la France).
Mais à quoi bon raconter ces histoires ? J’ai donné priorité à l’instant, à ce qui nous échappe, au doute, à la maladresse, à nos peurs, à nos questions de « jeunes ». Le passé construit notre présent et c’est ce présent là, fait de tendresse, de douleur, de nostalgie, de chants éternels que nous avons essayé de retracer.
L’écriture
Elle est née au fur et à mesure que nous avancions dans la recherche sur le plateau. Tout s’imbrique en même temps : la création des personnages masqués, la réflexion sur l’espace,
l’écriture textuelle, l’esthétique du spectacle. Le point de départ est de raconter notre expérience de façon autobiographique, de façon intime et poétique dans un rapport direct au public. Cette parole naît de tous les textes écrits pendant le processus de création.
Le récit
Il se construit par touches successives et non par la mise en place d’une fable dans une logique de narration classique mais grâce à une panoplie de situations diverses où la parole du comédien-conteur vient ponctuer un moment précis, en dévoilant à travers cet instant un secret, un questionnement, un ressenti. La parole peut être chorale (le chœur antique) les trois comédiens partagent une histoire commune, d’autre fois elle est soliloque.
En contrepoint de cette écriture charnelle, décousue, quotidienne et à la fois énigmatique, il y a la parole des trois personnages masqués (genre : comédie humaine). Ils parlent au présent, de façon saccadée, répétitive, obsessionnelle et absurde mais à la fois très réaliste. La parole des masques et la parole des conteurs se répondent en écho, parfois se télescopent, rompent la limite entre fiction et réalité (le théâtre dans le théâtre).
Ce sont deux chemins d’écriture qui racontent des vécus différents. D’une part il y a notre histoire, avec notre vérité et d’autre part il y a ce que nous avons pu observer que nous transposons grâce aux masques.
Il y a aussi en arrière plan la voix off des résidents. Comme un écho lointain et fantomatique qui vient ponctuer, énoncer. C’est une parole sacrée puisque « vraie », elle nous ramène au sensible, au concret : à la chute, à la peur de l’oubli, à l’abandon, mais aussi à l’espoir et au désir !
L’espace scénographique
Symbolisant le mieux ces différentes réalités, il nous semble être un espace vide, dépouillé, métaphorique, l’espace de la pensée. Un lieu vide pour laisser libre cours à ce que nous privilégions, le jeu des comédiens. Un lieu sans contours, sans couleurs, un lieu médicalisé. La chambre de l’hôpital efface les souvenirs, c’est un lieu de passage. L’espace se remplit des souvenirs, des objets de chaque personne évoquée tout au long du spectacle et à la fin, le plateau devient le paysage d’une vie, avec les objets épars sur le sol, les traces d’une histoire…
Au milieu de cet ensemble de morceaux de vie, d’écailles, revient comme un leitmotiv une boule. Elle est la Matrice, lieu symbolique, oignon, corps, maison, hôpital, réceptacle de la mémoire de tous les anciens rencontrés… Elle rythme le déroulé du spectacle couche après couche, image métaphorique du travail de recherche, avec dans un double mouvement où l’espace se remplit au fur et à mesure que la boule se dépouille de tous ses oripeaux pour faire naître la marionnette finale. Elle garde en son cœur ce que nous avons nommé l’esprit des vieux.
Le spectateur
Il est invité à vagabonder dans cet univers onirique, construit de « ces fragments infimes et infinis », à laisser libre cours à sa pensée et à se promener au fur et à mesure que le récit avance. En faisant des sauts perpétuels, des zappings, des flash-back, en revenant sur le réel. Il devient spectateur sensitif en quête d’une histoire qui ne peut être que celle que lui-même se construit par rapport à sa propre histoire. Cela demande un effort d’immersion dans une dramaturgie composée d’un assemblage d’images, de sautes d’humeur, de situations et de paroles diverses. C’est une pièce-paysage, une romance théâtrale composée de va-et-vient entre passé et présent, jeunesse et vieillesse, intérieur et extérieur. Le spectateur n’est pas un simple consommateur d’histoire(s), il doit se positionner, questionner…
Les thématiques
Elles se ressassent, se répètent, les questionnements surgissent comme des éclairs, les doutes envahissent le plateau, la fragilité du secret se fait chair, et le déséquilibre du vide crée l’incertitude. Mais le lien est là, dans le fil tissé à travers les corps des comédiens, dans leur inconscient, dans le partage de leur vécu. Cette tension dramatique n’est pas apparente, elle ne naît pas du conflit mais du regard. Elle se fait trace après l’expérience théâtrale !