16h07 : Je suis arrivée au phare de l’île de Wrac’h depuis ce matin (6 juin 2012), il
pleuvait et Jean-Pierre puis Jo m’attendaient au rendez-vous (St Cava).
Je suis arrivée à 10h20 après m’être arrêté au supermarché de Plougarneau pour acheter ce que je n’avais pas pu acheter avant : du café, de l’eau, du dentifrice, huile d’amande et huile de lavande pour le corps, pâté Hénnaf (je me suis dit qu’une résidence d’écriture sans pâte Hénnaf, c’est comme embarquer dans un bateau sans gilet de sauvetage), et puis une boite de camembert.
Je mettrai des petits coquillages, des trésors « glanés » à droite à gauche de la plage pour mes filles.
- J’ai décidé d’écrire en bleu.
- J’ai décidé de me mettre à écrire face à la fenêtre qui donne sur Landeda. Landeda me fait penser à mes amis ; Jean-Manuel et Paul. Mais aussi à l’Escale…
- J’ai décidé de ne pas entamer le cahier Moleskine que j’avais emmené pour l’occasion. D’habitude j’aime écrire sur ce cahier : la texture du papier, la couleur noir de la couverture. Il est austère et simple… mais j’ai envie de travailler sur de simples feuilles blanches, je garderai le cahier que pour la poésie.
- J’ai décidé d’écrire en bleu. Bleu comme la couleur du ciel, du ciel reflété dans la mer. Le noir c’est sombre et appel la mort. Le bleu me rappel les cahiers d’écolier !
(Rien à voir : la table sur laquelle j’écris est une table en bois, une vieille table. Elle est mangée par les mites , pleins de minuscules trous dessinent un paysage. J’aime cette table !)
- J’ai décidé de dormir dans la grande chambre d’un haut, sur le tapis tresse. La petite chambre contigu avec tous ces lits regroupés dans un coin ne me donne aucune envie… j’ai l’impression d’être un lit de plus.
16h 14 : La mer monte ! Est-ce que je vais paniquer ?
Depuis que je suis arrivée ce matin, Jean-Paul travail sur la construction de la salle de bain. Il met le carrelage, un carrelage de couleur marron claire avec des volumes comme des dunes de sable.
Je sais que je ne suis pas (complètement) seule !
La mer continue à monter, je la vois depuis la fenêtre, je la surveille et j’ai la sensation que la mer monte en moi, qu’elle me remplie. Plus elle est pleine… plus le niveau d’eau fait surface, plus ça monte à l’intérieur de ma cage thoracique.
Je vais me noyer à l’intérieur ?
- J’ai décidé de ne pas me poser de questions.
Exemple : Je viens d’écrire « j’ai la sensation que la mer monte en moi ». Une image apparait nette comme un éclat dans mon cerveau ; l’image d’une femme nue sur la plage avec en elle la mer qui monte… Dès que je vois cette image, j’ai envie de la dessiner et je sais que je veux le faire sur le papier recyclé que j’ai emmené et que je garde dans un tiroir depuis des lustres en attendant une idée. Mais voici que je me mets à me juger :
Ah, non ce n’est pas le moment ! En plus, tu ne sais pas dessiner et puis ça serait mieux d’utiliser du vrai papier à dessin. Puis tu dois continuer à écrire… Rappelle-toi ce que tu viens d’écrire : ne pas me poser de questions.
Les envies arrivent, les associations d’idées se font malgré toi, c’est ton imaginaire qui t’offre cela même. Tu dois l’accueillir. C’est ainsi ! Ne pas freiner une intuition, un élan…
L’inspiration est un vent qui arrive à nous sans autre dessein que celui de passer.
Il faut le prendre au même instant qu’il nous traverse, avant qu’il soit à nouveau reparti. Si tu veux l’attraper, lui demander pourquoi il est là, qu’il aurait du venir du sud et non de l’ouest. Si tu veux le contraindre à la raison, lui donner une valeur autre que celle d’être un souffle furtif et éphémère, tu ne fais que l’éteindre, l’anéantir.
« Le vent ne peut pas être possédé, tu ne peux que le laisser te traverser… »
18h 23 : Je viens d’écrire « La mer monte », une sorte de poème en prose de ce que je ressens à l’instant même où je sais que suis devenue partie intégrante de ce phare.
Suis-je devenue une île ?
Je ne suis pas seule, je suis avec moi même ! Qu’est-ce que ça veux dire cela ?
Fernando Pessoa dit : « Etre là, c’est être ! »
Il suffirait donc de se savoir exister pour être. Rien d’autre à prouver, que s’éprouver soi ! Se sentir tout à la fois : infinie et finitude, petit et grand, plein et vide !
Pourquoi cette faim d’ailleurs ?
Pourquoi cette dévoration de l’autre ?
Pourquoi cette soif de combler un vide ?
Jean-Paul m’a expliqué la mécanique physique de la marée (il faut dire que je ne connais rien à la mer. J’ai grandi en pleine terre, au milieu des vignes et des oliviers. Mais je ne connais pas non plus la mécanique des oliviers…)
J’ai compris que quand la lune est en haut du ciel elle aspire (avale ?) la terre.
Elle l’attire vers elle, du coup la mer s’ouvre et l’eau déborde par les côtes.
Elle se vide d’elle même et les eaux vont vers la grande mer : l’océan ! Du coup la terre apparait nue face à la lune…
C’est un va et viens entre la lune et la terre, ça monte, ça descend : de haut en bas, de bas en haut !
Je l’écoute et je sais que je suis un enfant à l’instant même où je l’écoute.
Je ne comprends pas tout, je me fais mon idée à moi de la marée et ce que je comprends est que la lune et la terre font l’amour. Et ici, elles font l’amour deux fois par jour !
Je l’accompagne de l’autre côté de l’île, là où il y a encore un passage. L’estran… comme il est beau ce mot. Epais et dense il me rempli la bouche !
Je voudrais aller plus loin mais je sais que je dois m’arrêter, je dois rester ici et lui il doit partir. Je le regard s’éloigner, laissant derrière lui la petite fille que je suis.
Qu’est-ce qu’il ressent en me quittant ?
Pourquoi il me dit : « bon, courage ! » ?
Je l’aime bien cet homme. Il est doux, tranquille, minutieux dans sa façon de travailler.
Qu’est-ce qu’il a dit ce matin quand on s’est vu à St Cava ? Quelque chose comme :
« Quitte à me mouiller je préfère faire quelque chose… »
Et puis il s’est mit à marcher !
Jean-Pierre et moi nous n’avons pas traversé à pieds, il fallait transporter mes affaires. Du coup nous avons pris la voiture jaune de JP qui sert de « transporteur » mais il n’a pas pris le chemin habituel et nous nous sommes embourber… nous avons échoué !
Finalement nous avons trouvé le chemin.
Trouver son chemin, ne pas trouver son chemin, se tromper de chemin et s’embourber… Vaste question !
Depuis tout à l’heure il y a un bruit bizarre qui fait : boum boum boum…
ce n’est pas la tempête, ni la porte qui claque, ni les volets. Je supporte le :uh uh uh du vent mais pas le boum boum boum de quelque chose que je ne sais pas ce que c’est.
Je crois qu’il va falloir m’habituer à plein de petits bruits divers ; une symphonie de bruits inconnus !
(Le boum, boum c’était la fenêtre d’en haut dans la petite chambre avec ses lits.
Je savais bien qu’il y avait quelque « chose » dans cette chambre. J’ai ferme la fenêtre et le boum boum a cessé.)
« Il faut bien démarrer pour commencer », Jean-Paul m’a dit cette phrase pendant qu’il mettait ses carrelages, tranquillement.
Et oui, tout n’est que question de trouver le bon démarrage. Mais ça, ce n’est pas si simple…
J’ai faim, je vais me faire des légumes à la poêle (des courgettes, oignons, carottes avec des lardons. Oh, j’aurai dû acheter des pommes de terres (j’ai envie de manger des pommes de terre…)
Il n’est que 18 heures et j’ai faim. Et alors ? Je peux manger maintenant si je le décide, ce n’est pas ni trop tard, ni trop tôt et ici je fais ce que je veux, non ? Non je fais, non ce n’est pas ça non plus, je ne fais pas. J’écoute, j’écoute mon corps, j’écoute les méandres de mon imaginaire, j’écoute les bateaux qui passent et qui me parlent, j’écoute le bruit du ciel et le boum boum d’un mystère, j’écoute les uns et les autres.
J’écoute… donc si j’ai faim il faut manger !
La mer monteEncerclé…voici la mer autourAutour de moi et moi seule sur un îlotCaillou-maison-phare-coquilleQue du bleu à perte de vueUn voilier trace une ligne droiteTraverse l’horizon direction au port d’attacheMoi je n’ai plus rien à quoi m’attacherUne clope soulage un instantMais la fenêtre et l’étendu d’eau qui la rempli me rappel que je suis désormais seule sur ce bout de terre jaune, verte, sable…Quelques gouttes d’eau de pluie minuscules et solitaires sur les vitres de la fenêtre.Le ciel est nuageux, gris, tourmenté par le vent qui souffle en continu depuis ce matin…Imperturbable, constant, parlant l’idiome des cieux, des dieux de l’Olympe.Je dois apprendre à me laisser bercer par la voix, le souffle qui viendra raviver la flamme de ce que je ne connais pas encoreDe ce pourquoi je suis venue ici…La mer est devenue comme par magie bleu turquoise, avec quelques taches sombres puis du blanc PAS SUR par ci par là.Un blanc nerveux qui disparaît aussitôt qu’il apparaît : qui est tu ?Qui est tu ? Qui est tu ?Chaque vague régurgite la même question indéfiniment, inlassablement elle me renvoi à la figure comme un chant liturgique, l’abîme de ce à quoi je ne peux répondre.La mer continue à s’agiter, une larme de pluie descend sur la vitre s’ouvrant en passage au milieu d’autres gouttes immobiles.Une seule larme de mer courageuse et solitaire se fraie un chemin.Je me vois en elleJe veux me regarder en elleDevenir cette goutte d’eau et m’oublier !
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